« Coda, T1, Je te le jure » de Marie Sexton

Traduit de l’anglais par Lia Vezes

Ho la la ! Je vous vois déjà écarquiller les yeux devant cette couverture ! Je sais, je sais… Mais ne vous fiez pas à ce dessin, disons… plutôt « kitch », pour ne froisser personne. Jamais l’expression « on ne juge pas un livre à sa couverture » n’a été aussi vraie. Publié en 2010, il s’inscrit dans les débuts de la romance M/M, peu développée à ce moment-là. L’écriture de Marie Sexton est magnifique de simplicité, la traduction agréable et naturelle. Alors installez-vous confortablement, ouvrez-le et plongez-vous dans cette magnifique histoire d’amour dans le décor somptueux des montagnes du Colorado.

Jared vit une existence tranquille dans la petite ville de Coda, perdue au milieu des Rocheuses. Il aime la nature, se perdre dans les montagnes, respirer l’air pur du Colorado. Il travaille dans le magasin familial avec son frère et son adorable belle-sœur, bien qu’il ait un diplôme de professeur. Pas facile d’être gay et de l’assumer quand les préjugés et les critiques vous entourent. Il n’y a pas beaucoup d’ouverture d’esprit dans cette communauté où tout le monde se connaît. Le rejet, les moqueries, l’homophobie « ordinaire » ponctuent son quotidien. Jared est accepté par sa famille mais mène une vie très solitaire. Il ne se cache pas, pourtant, il a en quelque sorte renoncé à se battre. Il est comme spectateur de sa propre vie.

« Il va sans dire, que jamais je n’avais prévu d’atteindre la trentaine et d’être toujours célibataire. Être gay dans une ville aussi petite n’est pas facile. Le Colorado n’est pas exactement le rendez – vous des homos. Ce n’est pas impossible d’en trouver, mais ce n’est pas San Francisco non plus. Ici, la plupart des gens me connaissent, et si une majorité m’accepte, certains détournent encore le regard quand je passe à côté d’eux à l’épicerie ou refusent que je les serve quand ils viennent au magasin. Les chances de trouver un partenaire à Coda étaient presque nulles, alors que les chances de finir seul me semblaient terriblement élevées. »

Matt est un jeune policier fraîchement embauché. Le courant passe tout de suite entre les deux hommes. Ils se lient rapidement d’amitié et commencent à passer beaucoup de temps ensemble, alternant sorties VTT, camping, matchs de foot… Une seule ombre au tableau : Matt est hétéro. C’est en tout cas ainsi qu’il se définit. La réalité est pourtant beaucoup plus complexe. Fils d’un militaire alcoolique pétri de préjugés, il s’en veut de ne pas répondre aux exigences paternelles : il n’a pas fait carrière dans l’armée et n’a toujours pas fondé de foyer. Il ne sait ni qui il est, ni ce qu’il veut vraiment. Profondément solitaire, il trouve en Jared quelqu’un qui partage ses passions, qui le fait rire, avec qui il se sent bien.

« Il vint à mes côtés, grand et droit, les mains croisées dans le dos tandis qu’il regardait ses livres. C’était comme si j’avais trouvé une petite fenêtre donnant sur son cœur. Ou un autel mais je ne savais pas à quoi.

— Je ne t’aurais jamais pris pour un grand lecteur.
Il resta un long moment silencieux, puis dit doucement :
— Je suis souvent seul. Parfois, c’est difficile de passer le temps.
Ses paroles, le soupçon de fatigue et de résignation dans sa voix touchèrent un point sensible chez moi : elles firent totalement écho à ma propre solitude.
— Je sais exactement ce que tu veux dire.
À cet instant, quelque chose s’est passé entre nous. Nous n’avons rien dit, mais je sais qu’on l’a ressenti tous les deux. Ce n’était rien d’aussi banal ou romantique que l’impression d’avoir trouvé son âme sœur. C’était tout simplement comprendre qu’une personne nous est semblable. Nous avions tous deux longtemps été seuls et peut-être qu’à présent nous n’avions plus à l’être. »

Ce roman nous dépeint avec finesse et réalisme toutes les difficultés de l’acceptation de soi, du regard des autres, mais aussi celles rencontrées pour s’intégrer dans une société intolérante. On suit le cheminement psychologique de nos héros, leurs incertitudes, leurs peurs, leurs douleurs, leurs erreurs. Quand l’un trébuche, l’autre le relève. Chacun doit se remettre en question, se débattre avec ses doutes. Marie Sexton nous dépeint la rencontre de ces deux hommes un peu perdus avec une plume d’une simplicité bouleversante. Une très belle histoire d’amour, dont on se souvient longtemps après avoir tourné la dernière page.

Extrait du roman « Coda, T1, Je te le jure » de Marie Sexton.

Tout ce que je voulais, c’était l’embrasser et j’étais à la fois ennuyé et soulagé de ne pouvoir le faire dans cette position. Je n’aurais pas été capable de m’arrêter sinon. Ma main bougea de sa propre volonté et vint se poser sur sa joue, le bout de mes doigts touchant sa mâchoire. Ses paupières s’ouvrirent lentement et il me contempla, ses prunelles vertes et grises plongées dans les miennes. Je sus alors qu’il le lisait dans mes yeux. C’était impossible qu’il me regarde à cet instant et ne voie pas ce que je ressentais.

Lentement, il leva la main, attrapa mes doigts et les éloigna de sa joue. Il ne me relâcha pas. Il avait la voix grave mais douce quand il demanda:

— Es-tu sûr de ne pas être en train de me faire des avances ?

Je fus tout d’abord incapable de répondre. Ça n’avait certainement pas été mon intention première, mais à ce moment-là, je me dis que je ne supporterais pas de ne pas l’avoir.

— Est-ce que j’aurais une chance ?

Ma voix était à peine plus forte qu’un murmure.

Il hésita une seconde, soit parce qu’il était incertain de la réponse, soit parce que je n’allais pas l’aimer, je ne savais pas. Puis, tout aussi doucement, il secoua la tête.

— Non.

Je m’étais attendu à cette réponse, et pourtant, je n’arrivais pas à croire à quel point ça faisait mal. Je ne pouvais plus le regarder. Je dus fermer mes yeux et me rappeler de prendre une inspiration tremblante. J’arrivai à peine à parler à travers la soudaine boule dans ma gorge.